Ce prodige de la médecine, père de la gynécologie moderne, personnage charismatique, grand amateur d’art, en particulier de littérature et de théâtre, est devenu un incontournable des salons littéraires et mondains du Tout-Paris.
Une éducation sous le signe de la rigueur protestante et de l’excellence
Issu d’une famille protestante, Samuel Pozzi voit le jour en 1846. Son père, Benjamin, pasteur, officie à Bergerac. Sa mère, Inès est issue d’une famille d’agriculteurs possédant ferme, terres et vignes à la Graulet, à 5 kilomètres à l’est de la ville. Samuel héritera plus tard de ce domaine, véritable point d’ancrage familial, qu’il aura à coeur de faire embellir (1), malgré sa carrière et sa vie mondaine trépidante à la capitale. Outre le goût du travail et des études, il doit à son éducation des valeurs profondément humanistes qui ont été une constante dans la vie de ce personnage doté d’un alignement d’atouts exceptionnels.
Une carrière menée tambour battant
Le jeune étudiant en médecine se fait remarquer au cours de brillantes études à Paris, où il franchit allégrement et avec brio la longue succession de concours. À vingt-trois ans, le jeune interne intègre l’un des rares services de gynécologie, sous la direction du professeur Gallard. Il va exceller dans cette spécialité délaissée à l’époque et être à l’origine d’énormes progrès, notamment dans la chirurgie des kystes ovariens. Plus tard, devenu une sommité, il s’isolera plusieurs mois à Montpellier pour écrire « le traité de gynécologie clinique et opératoire » qui paraît en 1890 et restera un ouvrage de référence pendant près d’un demi-siècle.
Sarah Bernhardt et Samuel, un coup de foudre entre deux êtres d’exception
C’est de sa petite lucarne dans sa mansarde d’étudiant, proche de l’Odéon, que Samuel, étudiant, aperçoit pour la première fois Sarah Bernhardt, déjà entourée d’une nuée d’admirateurs à la sortie du théâtre où elle se produit. Il rencontrera la comédienne lors d’une de ses représentations, probablement la première du « Passant », un de ces premiers grands succès. Un certain Mounet-Sully (2), bergeracois avec qui Samuel a lié amitié, serait à l’origine de la rencontre. Ce fut tout simplement un coup de foudre entre le jeune interne et celle qui deviendra une des plus grandes tragédiennes de l’histoire du théâtre, déjà connue pour ses nombreuses aventures. Un lien unique reliera toute leur vie ces deux êtres d’exception. Leur liaison passionnée et parfois un peu tumultueuse qui dura une dizaine d’années se muera en une indéfectible affection amoureuse et admiration mutuelle, comme en témoigne une correspondance très riche jusqu’à la mort de Samuel. Les lettres de Sarah commencent par « Mon Docteur Dieu » et, malgré ses multiples sollicitations professionnelles et mondaines Samuel ne manquera jamais une pièce de théâtre de sa « divine Sarah ».
Professeur Pozzi à la grande époque des salons littéraires et mondains du « Tout-Paris »
Jeune étudiant, Samuel avait été introduit dans les salons grâce à son cousin, Alexandre Laboulbène médecin de renom.
Il rencontre ainsi le parnassien Leconte de Lisle, Flaubert, George Sand et Maupassant chez Mathilde Bonaparte. Plus tard, avec son épouse, Thérèse, ils tiendront eux-mêmes salon et recevront le « Tout-Paris » dans leur vaste et luxueux appartement place Vendôme, où Samuel collectionne des oeuvres d’art et notamment des monnaies anciennes. Ces salons mondains et leurs habitués ont inspiré l’un des écrivains qui les fréquentait, un certain Marcel Proust, dont le frère médecin, Robert est un collaborateur de Samuel. Pour cet homme de sciences, l’art semble une nourriture essentielle, la littérature et le théâtre (passion partagée avec sa chère Sarah) y occupant une place de choix.
Un humaniste engagé
Cette vie mondaine et privilégiée ne doit pas faire oublier un profond sens du devoir et de l’engagement humanitaire qui a toujours habité Samuel. Ainsi, avec Sarah Bernhardt, il soutient avec acharnement, aux côtés de Zola, le capitaine Dreyfus, qui se voit condamné avec une injustice flagrante, bouc émissaire d’une montée d’antisémitisme nauséabonde… Par la suite, le brillant professeur n’hésitera pas, tout comme son ami Dreyfus, à se porter volontaire pour reprendre du service lors du conflit de 1914.
La fin de ce destin hors du commun se terminera de manière exceptionnellement tragique.
Un ancien patient, déséquilibré mental, assassine Samuel Pozzi d’une balle à l’abdomen qui lui sera fatale le 13 juin 1918. À 72 ans, le médecin venait de donner une consultation qui sera la dernière à son cabinet avenue d’Iena après une journée passée à son hôpital où il avait contribué à sauver encore quelques blessés revenus du front… Ce fait divers retentissant bouleversa la société parisienne. Les trois enfants Pozzi pleurèrent ce père aimant bien que peu présent et découvrirent à travers les gros titres de la presse lors de sa mort à quel point leur père était un immense personnage. La mélancolique Catherine, poétesse de grand talent, à son tour immortalisera le nom des Pozzi et l’un de ses frères s’illustrera dans une brillante carrière de diplomate.
1. Les travaux qu’il commande à Gabriel Perdoux pépiniériste paysagiste bergeracois de renom donnent lieu à une correspondance fournie.
2. Mounet-Sully deviendra un immense tragédien, l’égal masculin de la grande Sarah avec qui il partagera la scène et dont il fut l’un des nombreux amants, délaissé par la belle pour son « cher Samuel ».
Texte Marie-Pierre Tamagnon
Illustration Yann Hamonic